Lambert-Arnould de Vrigne aux Bois

merci à Gilles Déroche

Le 15 septembre 1906, Lucien Henri Lambert, âgé de 25 ans, épousait Eugénie Sophie Arnould, également âgée de 25 années.(1) De cette union allait naître, le 25 décembre 1912, une fille, Renée, qui fut l'épouse de Guy Desson, député des Ardennes et personnalité politique de premier plan.(2)   Ce mariage allait aussi engendrer, ou plutôt permettre, le développement des établissements Lambert-Arnould.

Suite au décès de Renée Desson, le 13 février 2005, les éditions "Terres Ardennaises" se sont trouvées dépositaires d'archives familiales qui ont donné la matière de cet article.(3)

Renée Lambert-Arnould

 

Le savoir et la propriété

Sophie Arnould était la fille de Honoré Clément Arnould, époux de Sophie Amblenne, fabriquant de ferronnerie depuis` 1884 à Vrigne-aux-Bois. (4) Henri Lambert était le fils d'un quincailler d'Attigny qui poursuivit des études à l'école pratique professionnelle de Charleville, devenu le lycée Bazin. Puis, pendant quatre ans, il fréquenta les cours de l'Institut Industriel du Nord dont il sortit, en 1903, avec le titre d'Ingénieur.Henri Lambert effectua son service militaire, à Verdun, du 14 novembre 1904 au 23 septembre 1905 au 151 régiment d'Infanterie. Libéré des obligations militaires, il fut embauché à Vrigne aux établissements Lerrede et quelques temps après son mariage, il prit la direction de l'usine de son beau père, M. Arnould. Le jeune homme inspirait confiance. Cette note confidentielle, signée de Maurice Cunin, à l'intention d'un banquier en témoigne:

"Le demandé est un ancien employé d'une maison de la partie établi à son compte depuis quelques mois; il est marié avec Melle Arnould dont le père faisait autrefois partie de la Société Ch. Cocu et Clément Arnould, dissoute courant 1907. Lambert est un homme jeune encore, bien coté et qui passe pour bien connaître son métier. On le dit aidé par ses parents et ceux de sa femme qui sont dans une bonne situation de fortune. Il occupe actuellement une trentaine d'ouvriers , est secondé par son beau-père et semble devoir réussir. On ne croit pas en tout cas qu'il y ait danger pour le moment à lui consentir un crédit de début de cinq mille francs comme celui indiqué et voir marcher."

Elève de l'Institut Industriel du Nord en 1903

Service militaire au 151ème

 

Les anciens du Collège technique de Charleville réunis le ler avril 1951
Henri Lambert Arnould est le 10ème au premier rang , debout en partant de la gauche près de Henri Clin

 

Les patrons de la petite métallurgie ardennaise en 1907

 

Une série de brevets fut déposée à cette époque: le premier mai et le 18 octobre 1907 pour la fabrication de paumelles; le 14 décembre de la même année pour des raidisseurs de fil de fer; et le 10 octobre 1908 pour des ferrures d'assemblage pour lits et autres meubles. Le brevet le plus original sera déposé le 11 mars 1920 pour des "têtes porte-forets pour fraisages multiples".

Lambert-Arnould à ses débuts

Rappelé au 147ème d'infanterie en août 1914

Le 1er août 1914, le nouveau directeur quitte l'entreprise appelé au 147ème régiment d'Infanterie de Sedan. Il combat dans l' Argonne, la Champagne, aux Eparges et à la tranchée de Calonne et méritera cette citation du général de sa division:

"Brancardier, il fait preuve de courage , en allant spontanément relever un blessé dans un poste extrêmement périlleux".(5)

Il recevra une blessure, sera évacué en septembre 1915, et sera titulaire de la Croix de Guerre.

Après sa convalescence, l'Industrie ayant besoin de personnel spécialisé, il est détaché et mis en sursis à l'usine de Boulogne-Billancourt le 24 novembre 1915. Après avoir subi une épreuve d'ajustage, il est engagé comme traceur après un court séjour dans un atelier. Il fait un stage dans un bureau de dessin et ensuite est nommé chef d'équipe puis, le 10 avril 1916, chef de section dans un service produisant des fusées Schneider. Le 21 février 1917, il est agent d'outillage, il effectue un peu de chronométrage, puis devient employé au bureau d'étude s'occupant des chars d'assaut de l'artillerie. Voici les souvenirs qu'il confie par écrit au Chef du Personnel Mensuel de la Régie Renault, le 19 février 1959, pour obtenir des pièces nécessaires à la constitution de son dossier de retraite:

"Affecté au service de Monsieur Serre nous avions presque journellement la visite de Monsieur Louis Renault surtout au moment de l'étude des chars Renault ( moteur de 18HP). Ardennais, connaissant particulièrement la fonderie, j'étais agent de liaison avec les fonderies Thomé et Cromback au moment de la mise en chantier des maillons en malléable pour chenilles de chars et des essais de fabrication de volants, en malléable également.
Lors de la création de 1 'annexe du Point du Jour, j 'ai été également chargé des rapports de l'aviation avec la fabrication des moteurs 300 HP: Inclus photo du tout premier atelier de montage des fuselages.
En ce qui concerne le poste relativement secondaire que nous occupions il est nécessaire de rappeler que les ingénieurs, les cadres jusqu'aux chefs d'équipe ont été mobilisés sur place pendant très longtemps ( ce qui était d'ailleurs logique pour éviter de désorganiser les divers services) nous avons dû, indépendamment des parchemins que nous possédions, subir des essais manuels (ajustage de préférence ) ce qui nous était relativement facile après nos stages d'Ecoles Arts et Métiers. Le recrutement militaire attaché à l'Usine exerçait d'ailleurs une surveillance active pour dépister les embusqués (soi-disant tourneurs !)
En présence de l'état de délabrement de nos petites entreprises à la libération, j'ai été sollicité par mes chefs de service pour rester avec promesse d'amélioration de situation; mes intérêts matériels étant engagés dans mon affaire industrielle il ne m'était pas possible d'accepter "(5}

Démobilisé le 16 mars 1919, il vient reprendre la tête de son affaire à Vrigne. En attendant sa libération, dès 1918, la société a été reprise avec un confrère, Henri Camion, solution qui est abandonnée le 12 avril 1924.

Jusqu'à la seconde guerre, avec une trentaine d'ouvriers l'entreprise Lambert-Arnould va produire des articles de quincaillerie dans les domaines suivants: forge, ajustage, rabotage, fraisage, perçage, petit estampage, emboutissage, découpage, galvanisation à chaud, etc. Une quantité de produits sortent de ses ateliers: ferrures diverses, fermetures de caissons, charnières pour automobiles, cuisines roulantes, voitures à vivres et à bagages, ferrures électriques, dispositifs de protection pour pylônes électriques, ferrures pour bétonnières et excavatrices,
etc.

Les Lambert-Arnould en juillet 1924 -  Au volant, leur fille Renée

 

Papier à en-tête de l’entreprise

 

Les articles produits : extraits du catalogue de l’entreprise

Un autre capitalisme

Après la guerre, en 1945, âgé de 64 ans, Henri Lambert souhaitait peut-être accéder à une relative retraite, sans pour autant, perdre de vue son affaire. Dans le Bulletin IDN de 1945, il cherche à recruter un collaborateur par cette annonce:
"Petite   entreprise métallurgique ardennaise. Ingénieur disposant capitaux en une collaboration pour extension et  reprise éventuelle de l'affaire".

Les ateliers

 

Le 22 avril un ingénieur lui répond et propose de le rencontrer, intéressé par la mention "reprise éventuelle de l'affaire", et souhaitant tout simplement "...être un jour à son compte". I l s'agit de Noël, Albert Eugène Robert, né le 25 décembre 1925 à Paris, marié, père de trois enfants, ingénieur I.D.N. de la promotion 1938 , et libéré des obligations militaires effectuées en 1939 comme officier. L'impétrant a travaillé aux constructions mécaniques Dragon à Grenoble comme attaché de Direction, chez Posso à Sully-sur-Loire en qualité de chef de fabrication, et depuis 1943 il est ingénieur des services d'entretien aux Brasseries de la Meuse et de la Croix de Lorraine à Bar-le-Duc, service comprenant 230 personnes. Les tractations sont difficiles avec ce nouveau venu qui entre temps est devenu Secrétaire Général de la brasserie Paillette au Havre.

L'entreprise ARDEM voit le jour le 12 mars 1946.

 

Les ateliers

 

Il s'agit d'une société "à responsabilité limitée au capital de 1million de francs. Henri Lambert Arnould apporte en nature (matériel, clientèle) l'équivalent de 400 000 francs et Noël Robert 250 000 francs (plans, modèles, petit matériel). Ce dernier fait apport en numéraire de 150 000 francs, M. Balland, de Paris, 10 000 francs, M. Hayaux du Tilly, 50 000 francs, M. Burgeau de Neuilly , 25 000 frs, M. Robert de Chatenay, 5 000 frs et M. Villaume de Charmontois-le -Roi, 60 000 francs. Henri Lambert-Arnould reste donc le principal actionnaire avec 400 parts (1000 francs), devant Noël Robert (350).(7) Mais il n'a pas la majorité. En marge de cette constitution, Henri-Lambert Arnould s'engage à céder ces parts dans les 5 ans. En outre son pavillon, situé sur le site de l'entreprise, sera vendu obligatoirement à M. Robert. Il en est de même des bâtiments industriels et du matériel, qui en attente sont pris à bail. Henri-Lambert Arnould est nommé gérant pour 5 ans, délai à l'expiration duquel Noël Robert prendra sa place. Les appointements du gérant sont de 6 000 francs par mois, puis de 8 000 francs à partir de 1947.

 

Les ateliers

 

Dès le début, les rapports se tendent avec les nouveaux venus. Par une lettre du 27 mars 1946, Henri Lambert demande qu'on veuille envisager son remplacement dès le début de 1947. Il l'exprime assez vivement à Noël Robert:
"L'exploitation de mon affaire sera poursuivie avec tout le zèle et le dévouement nécessaires et dans l'intérêt exclusif de la Société mais je n'admettrai aucune contrainte ni aucun commandement, ayant depuis 40 ans perdu cette habitude!!!
Me rendant parfaitement compte que mon âge et mes capacités de travail m'handicaperaient dans un avenir assez proche je ne voudrais pas porter préjudice à la marche rapidement ascendante que vous désirez donner à la Société"
La réponse de Noel Robert est lénifiante:
"Je dois ajouter qu'il n'a jamais été question de vous soumettre à aucune contrainte ni commandement et les suggestions que j'ai été amené à vous faire ne visaient qu'un seul but qui est le vôtre : donner une exension nouvelle à votre affaire.
Dans ces conditions j’espère que vous reviendrez sur votre décision et que la Société vous aura encore pour de nombreuses années à sa tête".
L'opposition continue à se manifester dans les courriers. Noël Robert refuse l'embauche d'un adjoint au gérant,
"ce qui est strictement impossible dans 1 'état actuel de nos finances et eu égard au chiffre d'affaires dérisoire que nous faisons" (25 mai 1946)
L'ingénieur du Havre trouve que les prix ne sont pas assez élevés et ses exigences sont de plus en plus impératives:
"Encore une fois il s'agit de savoir si 1'on veut développer notre affaire ou non. Dans l'affirmative il faut fabriquer coûte que coûte ( sans perdre d'argent naturellement)" (15 juin 1946)
A l'impossible nul n'est tenu répond le gérant: D'accord, mais pour cela il faut en avoir les moyens, qui nous manquent actuellement et je vous confirme que je ne pourrai assumer cette tâche au delà de la première année en présence des difficultés de tous ordres qu'il faut néanmoins surmonter pour atteindre un chiffre qui soit rémunérateur" (17 juin 1946)
Mais l'ingénieur est opiniâtre:
"Il faut dès maintenant majorer vos prix dans des proportions notables en employant les formules mentionnées ans votre lettre du 5 Ct. Encore une fois nous ne sommes pas des philanthropes". (16 juin 1946)
A l'été 46, les affaires semblent en bonne voie et l'entreprise envisage d'embaucher une secrétaire-dactylo, pendant que le gérant profite des vacances d'été pour mettre de l'ordre dans les stocks et les papiers de la société...
Il est vrai que la brasserie Paillette du Havre devient un bon client, difficile à satisfaire dans la mesure où, pendant cette période de redémarrage de l'économie, la matière première est difficile à obtenir des forges. Ce client obligé n'est, d'autre part, pas pressé de régler les factures qui lui sont présentées. Toutes les opérations ne semblent pas d'une totale clarté, et les demandes de discrétion et de destruction de documents figurent dans les lettres. De même, Henri Lambert ne semble pas pressé d'engager des affaires avec Paul Robert, l'oncle de Noël. Ce dernier demande d'ailleurs au gérant, dans une lettre du 11 décembre 1946, s'il dispose d'une "caisse noire":
" de plus en plus nécessaire. J'aimerais que vous l'alimentiez (vous en aviez bien une avant la constitution de la société. Ces 16 000 seront en principe à prendre dessus. D'autre part j'insiste sur la nécessité de détruire tout le courrier que je vous écris, ainsi que vos doubles où il est question de MM. Mr Paul Robert. Facturation brasserie, etc.. sans oublier la présente."
Les préoccupations touchant les entrées et les sorties arrivent souvent au premier plan, et la trésorerie est dans l'ensemble assez "serrée".Cependant, le souci principal de Noël Robert est de "foncer":
"Les conditions économiques au début de nos pourparlers n'étaient pas les mêmes que maintenant. II n'aurait pas fallu faire traîner les choses comme cela. Dans les affaires, comme dans tout d'ailleurs, une seule chose compte: la rapidité d'exécution. II n'y a d'ailleurs rien de perdu et les conditions des banques sont au moins aussi bonnes que celles des particuliers en raison de la dépréciation continuelle du franc (dû uniquement à l'incapacité des maboules qui nous dirigent) on a tout intérêt à emprunter, même à taux élevé" (31 12 1946)
Au début de 1947, la situation semble stabilisée, mais Henri Lambert, qui a 65 ans, demande à ce qu'on lui adjoigne un collaborateur, qu'il préférerait sans doute choisir lui-même. Noël Robert n'est pas d'accord:
"Or depuis que je vous connais et jusqu'à maintenant cette affaire est incapable d'assurer le salaire d'une nouvelle personne. En ce qui me concerne on n'en parle pas, vous ne pouvez me donner 400 000 francs par an. D'ailleurs chaque fois que je vous ai proposé un collaborateur vous m'avez opposé des difficultés financières ce qui néanmoins ne vous a pas empêché d'embaucher un magasinier comptable pour vous aider. Cette personne ayant l'air de vous donner satisfaction je n'ai pas insisté; or maintenant vous revenez à l'idée d'un collaborateur : il me semble que la première chose à faire serait de pouvoir lui assurer son salaire donc développer le volume des affaires. Au lieu de cela à chacune de mes tentatives vers ce but vous m'opposez une force d'inertie remarquable; je me demande donc où vous voulez en venir. Je me permettrais en outre de vous faire remarquer que depuis que j'ai des capitaux dans cette affaire je n'en ai retiré aucun bénéfice mais au contraire toute une série de dépenses et d'empoisonnements. Si vous avez 1’intention de laisser cette affaire au stade actuel et de continuer à faire un chiffre d'affaires ridicule (d'autant plus ridicule si 1 'on tient compte des affaires que je vous ai fait faire et qui ne vous ont coûté aucun mal), je vous informe que je vous laisse toute liberté pour trouver un acquéreur quelconque compte tenu que mes intérêts et ceux de mes associés soient sauvegardés" (6 janvier 1947).
Dans la même lettre l'ingénieur propose de faire peindre et de ranger le bureau car "une bonne présentation est souvent le départ de bonnes affaires... "et de nettoyer l'atelier ce " qui ne serait pas un luxe, notamment l'enlèvement des herbes folles et arbustes qui ont tendance à y pousser".
Avec ce début d'année 1947 arrive, enfin, une camionnette Peugeot 202, ce qui nécessite de solliciter la Préfecture pour obtenir de l'essence. Ce véhicule va accumuler les pannes, les accidents et devenir un véritable souci. Devant tant de démarches et d'exigences Henri Arnauld exprime sa lassitude:
"Au risque de me répéter je vous signale que je consacre à mon affaire dix heures par jour, sinon de travail effectif et manuel, au moins de présence: toutes les matinées des dimanches et jours fériés. Depuis plusieurs années je ne me suis pas absenté une seule journée, mais je ne puis me résoudre à faire le palefrenier dans la cour et ses dépendances. Croyez bien que le découragement s'emparerait de beaucoup d'autres personnes en présence des multiples difficultés qui surgissent journellement ; approvisionnements impossibles, paperasseries innombrables, qui annihilent tous les efforts et viendraient à bout des meilleures volontés" (20 janvier 1947)
Pendant ce temps, il semble que Noël Robert cherche à augmenter son influence, en commençant par racheter les parts de Maurice Balland (5 mars 1947). En dépit des difficultés qui persistent, l'entreprise ne semble pas en perte de vitesse et le gérant en juillet 47, se dit prêt à céder 40 actions, dont le prix unitaire de départ était de 1000 à 1200 francs la part. D'ailleurs, le bilan présenté le 7 juin sur l'exercice 1946 -47 par le Gérant était positif. Tous amortissements déduits le bénéfice est de 7 357,20 francs.
"On peut augurer favorablement de l'avenir", "les prévisions de commandes sont assez bonnes... ", même si "En raison de 1 'étroitesse du fond de roulement nous avons dû demander un concours bancaire qui nous a été accordé... " et que "...d'autres seront peut-être nécessaires au développement de l'affaire."
D'autre part à la mi-septembre, le Gérant obtient l'embauche d'un collaborateur, Jacques Prest, appointé à 8 000 francs. Noël Robert réclame une augmentation de capital et invite à la participation d une société parisienne fabriquant des .accessoires de photographie, l'O.R.E.P....dont il est le propriétaire pour un tiers. On sent Henri Lambert réticent et peu pressé d'aboutir. A propos de l'augmentation de capital, il serait juste contraint à apporter à la société les terrains qu'il lui loue à bail, et à la cession de 55 actions pour rétablir la situation financière. Cette solution ne semble pas lui convenir et, à la fin de 1947, son partenaire lui force la main:
« Si vous n'étiez pas d'accord, je vous demanderai de me racheter mes parts ou de procéder à la liquidation de la société" (4 décembre 1947)
La réalisation de cette opération prend du temps d'autant plus que la période est agitée. Un "court arrêt de grève" se produit, lié au contexte national perturbé par l'agitation communiste. Mais l'entreprise embauche deux "jeunes unités", portant le personnel de l'atelier à 15 ouvriers. Le courrier n'est pas très riche à leur propos, à l'exception de quelques allusions au sujet de l'adoption des 40 heures dans certaines entreprises de Vrigne, à la quelle les gérants semblent défavorables, et d'une réflexion dans une lettre de Henri Lambert datée du 14 décembre 1949:
" L'emploi des femmes et jeunes filles entraîne toujours les aléas du sexe ( indispositions, maladies, etc...) et la répartition des postes dans la fabrication de série n'est pas toujours facile; nous devons toutefois constater qu'en général nos ouvrières sont stables et consciencieuses. A ce sujet une seule , qui ne répondait vraiment pas aux besoins du moment, a été remerciée sans fracas et l'exemple a été salutaire.
Le départ de l'ouvrier Jean Daverdissse s'est effectué également sans histoire lorsque M. Prest lui a fait constater d'une part le rendement insuffisant et d'autre part son manque d'initiative dans les divers travaux qui lui étaient confiés.
Notre magasinière est toujours aussi dévouée, elle a été bien surchargée par les dernières expéditions de paumelles de grille extra-fortes (lourds paquets et lourdes caisses).
J. Vervack est toujours exact le matin pour la préparation des poêles et braseros, indispensables pour la mise en route matinale, vous n'ignorez pas qu'en cette saison la ferraille est froide."
Des recommandations avaient été faites pour que les ouvriers ne perdent pas de temps le matin en allumant les calorifères et qu'ils puissent débuter leur travail dans une température convenable.
Début 1950, l'augmentation de capital semble réalisée en dépit de l'inquiétude et des multiples garanties prises par Henri Lambert. Elle est portée à 3 millions et les parts se répartissent ainsi:

Nature

Numéraire

Lambert Arnould
Noel Robert
H. du Tilly Jean
René
Michel
Héritiers Villaume
Louis Burgeot
Jacques Prest
Roger Robert
Robert Schèwe

740
250

 

830
400
200
200
100
50
200
5
20

745
1080
400
200
200
100
50
200
5
20

Total

995

2005

3000

 

Après la prise de cette décision importante, et comme l'avaient prévu les actes de constitution de la société, la décision qui nommait Henri Lambert-Arnould gérant de la société ARDEM prend fin le ler mars 1951.

 

Vrigne dans les années 50

Au service des VrignoisLibéré de ses activités professionnelles, Henri Lambert va pouvoir s'investir davantage dans les activités bénévoles et civiques. En 1934, avec son ami Lucien Danloy, il avait fondé la section des Anciens Combattants Républicains, rassemblant les vétérans de la Grande Guerre attachés aux idées de gauche, qu'il présida par la suite. Membre fondateur de l'amicale des Anciens du Collège Technique, sensible aux problèmes de l'éducation, il fut délégué cantonal de Bosséval et conseiller municipal de 1941 à 1947.(8)

 

On peut se demander pourquoi une population essentiellement ouvrière, et plutôt militante, acceptait d'élire un patron comme représentant. Un journal électoral, "Est-France Ardennes", publié le 26 mai 1946 dans la perspective du scrutin du 2 juin suivant, fournit réponse. Henri Lambert qui s'y présente sous l'étiquette du "Rassemblement des Gauches" en compagnie de Jean-Henri Malgras, un résistant, de Jean Delanoë, un avoué radical-socialiste de Vouziers et de Jean Velter un directeur d'école de Signy-l'Abbaye.
«  …son entreprise ne fait pas de lui un de ces grands patrons hautains et distants qui vivent loin de leurs ouvriers et qui ont été souvent la cause de la lutte des classes. Au contraire, il vit et travaille avec ses ouvriers, il en connaît les besoins et les désirs; toujours il se fait le défenseur de leurs légitimes revendications dans les réunions patronales. (...) II n'a pas craint de se mêler à la vie politique; estimant avec justice qu'il serait dangereux pour notre pays de confier la direction des affaires publiques aux extrémistes de droite ou aux extrémistes de gauche, représentant autorisé de ce que l'on appelle Le Français moyen, il est toujours resté, malgré les critiques trop souvent injustifiées, fidèlement attaché au Parti Républicain Radical et Radical-Socialiste; à ce titre, il a été Vice-Président du Comité Radical du canton de Sedan-Nord qu'il a représenté au Conseil d'Arrondissement"

Aux élections municipales d'octobre 1947, il figure sur une "Liste d'Entente Républicaine et d'Intérêts Communaux". Mais au scrutin d'avril 1953, il est sur une "Liste Républicaine de Défense Ouvrière" qui ne présente guère que 4 ouvriers sur 21 membres. Elu premier adjoint en 1947, Henri Lambert sera maire de 1953 à 1959.

Soir d'élections

A gauche: Marceau Collignon et ses fils, derrière eux M. Aubelin - Tenant la bougie: M Poncelet

 

 

Soir d'élections à Vrigne . De gauche à droite en haut: Marceau Collignon. M Saval, Mabot, André Aubelin Assise au centre: Mme Samain secrétaire de mairie et derrière elle, Etienne, garde

A gauche: Henri Lambert-Arnould
 

 

C'est sous son administration qu’est construit le Cours Complémentaire de Vrigne.(9) Le dossier concernant les affaires municipales contient les copies de quelques démarches destinées à soutenir des habitants de Vrigne dans l'embarras, pour un ancien ouvrier, Jules Vervack, "ponctuel, consciencieux, de bonne conduite... " ou pour un employé communal mis en question. Il proteste énergiquement auprès de Maître Courleux, huissier à Sedan contre l'expulsion d'un ouvrier âgé de 60 ans par les patrons Martin de Sedan:
«  …sollicite enfin, au nom de la plus élémentaire notion d'humanité, de la part de la propriétaire un délai raisonnable pour la libération du logement occupé..."

Après une vie aussi bien remplie, et avec des troubles cardiaques qui augmentaient, à la suite des élections de 1959, Henri Lambert-Arnould ne sollicite pas le renouvellement de son mandat

Henri Lambert-Arnould et André Raulin (M.R.P.) qui lui succèdera à la mairie de Vrigne

Il disparaît le 26 octobre 1960 et la population vrignoise lui rend un hommage très sincère. Certes, "tous les morts sont de braves types" (10), mais M. Raulin, le nouveau maire, trouve sur sa tombe, ces mots justes:
« S'il y avait un homme simple dans sa cordialité, franc dans ses intentions comme dans ses actes, c'était bien M. Lambert. 
Tous ceux ici présents n'ignorent rien des qualités sympathiques qu'il manifestait en toutes circonstances. Il avait l'énergie voulue dans les publics et l'assumait avec autorité. Il avait l'énergie voulue dans les décisions, la fidélité dans son idéal, mais surtout, il avait cette bonté de coeur qui gagne l'âme des plus petits comme celle des plus grands. Il fut avant tout humain dans ses idées, large dans la compréhension des choses du monde, accueillant chacun avec les mêmes égards, la même sollicitude, Il s'attachait à tout ce qu'il faisait avec le même élan désintéressé et souhaitait que tout le monde en fit autant.
Faut-il rappeler le dévouement dont il fit preuve dans la gestion des affaires communales? Sa vigilance, sa compétence en la matière lui ont permis de donner, pour le bien des autres, le maximum de lui-même.(...)

Tous ici, nous le regretterons à plus d'un titre, il fut l'homme à la hauteur de toutes les tâches, fussent-elles familiales, professionnelles et sociales et son souvenir est de ceux qui dureront dans notre esprit car il nous apporte la vision d'un homme intègre et probe jusqu'au bout de 1 'aventure humaine."

Le long cortège des obsèques de Henri Lambert-Arnould, en tête: Guy Desson

Le corbillard des obsèques

Roland Muller pendant son discours, il succéda à Henri Lambert-Arnould à la direction de l'usine La cérémonie était conduite par l'abbé Jean Gouverneur

 

Recueillement avant la mise en terre.

Derrière le cercueil: Guy Desson et sen épouse, Renée
     

Notes

(1) Lucien Henri Lambert est né le 2 décembre 1881
Fils de Léon Lambert, né le 4 avril 1850 à Donchery ,quincailler à Attigny,lui-même fils de Jean-Joseph Lambert et de Anne Joseph Lefèvre, époux de Jeanne Catherine
Bruges fille de Onésime Bruges et de Jeanne Henriette Lefèvre deNeuville - Day
Eugénie Sophie Arnould est néee le 30 août 1881, fille de Honoré Clément Arnould et de Domitile Sophie Arnould,née à Waterloo le 31 octobre 1854.
(2) Voir DEROCHE, (Gilles), Guy Desson, La politique, la culture,Terres Ardennaises, Charleville-Mézières, 1996.
(3) Ces documents seront déposés aux Archives départementales après leur exploitation au profit d'articles de notre revue.
(4) Le terrain situé au lieudit "La Barre" est acheté en partie à Stévenot-Leplang, cultivateur le 10 décembre 1884. Un complément est acquis à Marguerite Dupille le 15 septembre 1906
(5)Extrait de l'ordre de la Division N° 24 du 3 février 1915
(6) Dans le dossier retraite de Henri Lambert Une attestation de Renault donne ses salaires pendant cette période :
10 avril au 31 décembre 1916: 6000 frs
ler janvier au 31 déc 1917: 7000 frs
ler janvier au 31 déc §1918: 10 000 frs
 ler janvier au 31 déc 1919: 12 000 frs
ler janv au 31 mars 1920: 4000Frs
(7) La société augmente rapidement son capital
Les Affiches ardennaises des sociétés du 29 juin 1948 Périodique suivant les besoins de MM les Notaires, Fondateur Dirigeants des Sociétés.
Suivant acte reçu par Me Julien Gancel, Notaire à Donchery le 3 juin 1948, l'augmentation est de 1 million portant le capital à 2 millions
1- Apport en nature:
Henri-Lucien Lambert: immeuble à usage industriel de 76 centiares évalué à 400 000 francs.
2-Apport en numéraire:
Noël Robert;   230 000 francs Jacques Prest, ingénieur demeurant à Vrigne;
20 000 francs
René Hayaux, fondé de pouvoir agent de change Paris :50 000 francs
Michel Hayaux, fondé de pouvoir d'agent de change :50 000 francs
Jean Hayaux, jondé de pouvoir d'agent de change; 200 000 francs
Louis Burgeaud, Exportateur à Sceaux; 50 000 francs
(8) L'Association fête son cinquantenaire le ter avril 1951. Voir la presse locale.
(9) L'inauguration fut l'occasion d'un discours qui n'est pas sans intérêt:
"L'enseignement des Cours Complémentaires correspond à une nécessité économique: les jeunes élèves qui les fréquentent appartiennent en général à des milieux modestes ne pouvant assumer les frais d'études prolongées et coûteuses, la plupart de nos garçons même les plus doués intellectuellement se trouvent dans 1'oblgation de gagner rapidement leur vie. Pour la plupart la scolarité se terminera probablement à la fin de la classe de troisième.
L'enseignement ne saurait tendre exclusivement vers la stricte préparation du B.E.P.C.P. II doit inculquer aux moins favorisés d'entre les élèves, à ceux qui n'auront pas la possibilité d'entrer dans un établissement du second degré des notions de base solides durables, capables de former leur jugement .
La vocation des cours complémentaires implique la nécessité d'un enseignement moderne d'une durée limitée adapté aux exigences industrielles, aux possibilités de l'élève, à son orientation professionnelle et qui tienne compte des techniques et des procédés nouveaux de fabrication.
Les cours complémentaires ont un rôle primordial à remplir dans la formation des cadres inférieurs et moyens des grandes entreprises industrielles et commerciales et de l'administration; les élèves peuvent s'orienter vers les centres d'apprentissage, les atelier de la S.N.C.F., de l'industrie automobile ou des établissement métallurgiques régionaux." Ce texte n'est ni daté, ni signé.
(10) Comme chante Brassens...